Charles Exbrayat, écrivain
Charles Exbrayat est un de mes auteurs préférés dans la littérature policière. Au delà des intrigues, son humour est un régal.
Extrait de "Un joli petit coin pour mourir" (1968)
La scène se passe dans le jardin d'une pension où se retrouvent la plupart des protagonistes. Focus sur les personnages Bryan Burbage et de son épouse Felicity.
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Traversant le jardin, Rothesay passa devant les Burbage qu'il salua. Seule, Félicity lui rendit son salut. Après que l'Anglais eut quitté la propriété, Mrs. Owen ne tarda pas à se montrer et s'adressa aux retraités :
-Avez-vous vu Mr. Rothesay ?
Bryan refusa de lever le nez de son livre. Sa femme répondit, aimable :
-Il vient de sortir à l'instant.
-Merci beaucoup.
La galloise se hâta sur les pas de celui qu'elle cherchait tandis que Burbage grogna :
-Quelle impudeur ! Se conduire ainsi à l'étranger ! Il y a là de quoi donner une piètre idée des gallois !
-N'ayez donc pas toujours de mauvaises pensées, Bryan ! Mrs. Owen a peut-être quelque chose d'urgent à dire à Mr. Rothesay ?
L'homme du Yorkshire haussa les épaules.
-Vous serez toujours aussi sotte, ma pauvre Felicity ?
MacNamara, qui avait vu la jeune femme partir sur les traces de son protégé, se précipita à son tour, heurta la chaise longue où l'ex-professeur lisait, ce qui déchaîna, une fois de plus, la mauvaise humeur de ce dernier :
-Vous ne pourriez pas prêter attention où vous mettez vos énormes pieds ?
-Je vous demande pardon, M'sieur.
Entre ses dents, Burbage murmura :
-Aussi gros que bête...
L'Ecossais, qui était allé jusqu'à la grille, revint sur ses pas.
-M'sieur... des fois, vous sauriez pas par où est parti, Mr. Rothesay ?
-Vous me prenez pour le concierge de la maison, peut-être ?
-Oh ! non, M'sieur... Y a pas de concierge...
Pour éviter à son mari de prendre un coup de sang, Mrs Burbage se substitua à lui :
-Il a pris la direction de Bracieux, mon ami.
-Merci bien, M'ame.
A peine le couple d'universitaires avait-il retrouvé le calme que ce fut au tour de Stewarton de se présenter à eux. Le banquier semblait préoccupé.
-Bonjour, Mrs. Burbage, bonjour, Burbage...
Félicity lui sourit.
-Comment allez-vous Mr. Stewarton ?
-Vous n'auriez pas vu passer Mrs. Owen, par hasard ?
Bryan poussa une sorte de rugissement.
-Si ! Nous avons vu Mrs. Owen ! Et si vous tenez à le savoir, elle cherchait à rattraper Mr. Rothesay sur la route de Bracieux ! Vous êtes content ?
-Ce dont je ne suis pas content, c'est le ton que vous employez pour me répondre !
-Ne posez pas de question, on ne vous répondra pas !
Le londonien s'adressa à Mrs. Burbage :
-Vous devriez le surveiller, il finira par mordre !
Sans écouter les protestations indignées de Burbage, Stewarton s'en fut. Le jardin retrouva sa sérénité. De la fenêtre de la cuisine, arrivait l'écho de la vaisselle heurtée et aux senteurs des fleurs se mêlaient des parfums culinaires, le tout composant un ensemble fort agréable. Le major se montra sur le tard, adressa de loin un salut à Mrs. Burbage, qui le lui retourna, et s'en fut s'installer au soleil. Les Coleford arrivèrent les derniers, les époux se chamaillant. Sans se soucier de ceux qui les regardaient, ils se dirigèrent vers le fond du jardin et le gamin ayant reçu une gifle de son père, pleura et se fit consoler par sa mère.
Vers onze heures, Rothesay rentra. Il n'avait pas remarqué ceux qui le suivaient car il avait coupé à travers bois. Burbage émergea de sa lecture :
-Vous avez donc pu leur échapper ?
-Pardon ?
-Ils étaient quelques-uns lancés à vos trousses.
-Ah ?
-Vous semblez très recherché mon cher ?
-Vous ne devinez pas à quel point, professeur. Mais il y en a qu'un qui compte.
-Mrs. Owen ?
-Qui sait ?
Lorsque Phil se fut éloigné, Bryan s'enquit :
-Félicity, il s'est payé ma tête ou quoi ?
-Il est peut-être tout simplement discret.
-Cela m'aurait étonné que nous ne prissiez pas sa défense contre moi !
Il y eut encore une accalmie d'assez longue durée, puis la galloise, les joues enn feu, la chevelure pas tellement bien en place, arriva d'un pas pressé.
-Savez-vous si Mr. Rothesay est rentré ?
Exaspéré, Burbage jeta son livre au sol :
-Va-t-on me ficher la paix, oui ou non ?
D'un geste discret et complice, Mrs. Burbage montra du menton la maison. La galloise lui sourit et parut soulagée. Bryan n'attendit pas qu'elle fut assez éloignée pour ne plus l'entendre :
-Félicity ! Sommes-nous dans un asile de fous ?
-Assurément oui ! mon ami, si on en juge par votre attitude.
-Parce que vous estimez normal que...
Bryan fut interrompu par le choc consécutif au fait que le géant écossais, une fois encore, s'était pris les pieds dans ceux de la chaise longue où l'ex-professeur s'agitait beaucoup.
-Je suis honteux, M'sieur... J'ai pas regardé où je mettais les pieds...
Pâle de rage, Mr. Burbage se leva :
-Vous avez agi intentionnellement !
-Oh ! non, M'sieur !
-Vous vouliez que je tombe sur le sol !
-Moi ?
-Vous ! Et savez-vous ce qu'il va vous coûter, cet attentat ?
De sa voix tranquille, Felicity intervint :
-N'auriez-vous plus le sens du grotesque, Bryan ?
Cette réflexion eut pour effet immédiat de rendre muet l'irritable universitaire, ce dont MacNamara profita pour filer.
Stewarton se présenta presque aussitôt.
Avant qu'il n'ait ouvert la bouche, Burbage récita avec une insolence concertée :
-Oui, Mrs. Owen est rentrée ! oui, Mr. Rothesay la précédait de peu ! oui, la brute écossaise est rentrée et a failli me foire choir avec ses pieds qui ressemblent à des péniches de débarquement ! Y-a-t-il encore quelque chose que vous désireriez connaître ?
-Oui, le nom de votre médecin
-Le nom de....
-Parce que pour laisser en liberté un individu de votre acabit, ce doit être un charlatan !
Il y eut un long silence pendant lequel Felicity observa, avec le plus vif intérêt, le visage de son mari tandis que Stewarton disparaissait dans la maison. Burbage se tourna vers son épouse :
-Ma chère, je crois que j'ai besoin de prendre quelque chose de fort... Voulez-vous demander qu'on m'apporte un whisky ?
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